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Rendez-vous

  • Photo du rédacteur: Sama Queendom
    Sama Queendom
  • 20 févr. 2022
  • 5 min de lecture

Nouvelle à chute, écrite le 4 Novembre 2020.



Alioune est si beau quand il est concentré, droit sur sa chaise. Il est tard, mais son visage est éclairé par la lampe de son bureau. Son dos est légèrement recourbé. Ses larges épaules mettent en valeur son costume. Ses mains, grandes mais à l’apparence si délicates, tiennent les documents qu’il m’a demandés. Ses lèvres rosées sont retroussées vers le haut. Il fait toujours ça quand il réfléchit. Son front se plie également. De ma chaise, en face, je peux observer chacune de ses rides. Elles disent l’histoire de la carrière qu’il a fièrement bâtie. En tant que Directeur Financier, il a été le premier, le seul, à accepter de me donner du travail en tant qu’assistante dans son service, à mon arrivée en ville il y a quelques mois.


Tous les matins, je prépare consciencieusement ses rendez-vous. Je mets les dossiers en ordre. Je le décharge des tâches du quotidien. Je lui donne le temps de vivre. Je le laisse se plaindre des clients. J’ai alors le temps de l’admirer. Souvent, il s’arrête, soupire. Dans ces moments, je place discrètement ma main sur son épaule, je le rassure. Je suis la seule femme au bureau avec qui il échange. Travailleur et célibataire, il rentre souvent tard. Moi, je reste à ses côtés aussi longtemps qu’il le faut. Il le mérite, Alioune est un homme comme il n'y en a plus. Hier, remarquant son corps tendu, je lui ai proposé un massage des épaules. Il a accepté. Il était déjà 20 heures, nous étions seuls dans les locaux. Depuis, j'ai l'impression qu'il évite mon regard.


Il relève la tête et me tend, avec un petit sourire, les documents qu’il vient de remplir. Sa main effleure la mienne. Un frisson me parcourt. Je le sens tressaillir. Alors que je me lève pour retourner à mon bureau, il m’interpelle enfin : « Khady, que dirais-tu d’aller dîner ? ». Mon cœur s’emballe. Mes doigts se crispent. Je garde les yeux fixés sur les documents, réprimant un sourire. Il continue : « Je sais qu’il est tard, mais nous avons énormément travaillé cette semaine. J’aimerai t’offrir à dîner, pour te remercier. » J’acquiesce l’air désinvolte, en levant les épaules : « Pourquoi pas ? Je te retrouve en bas dans cinq minutes, le temps de ranger un peu. »


Je rejoins mon bureau, me dirige vers la salle de bain. Je parfume légèrement mon chemisier. J’ouvre un bouton, puis deux. Je détache mes cheveux, qui tombent légèrement sur mes épaules. J’admire mon reflet. Je me demande ce qui a convaincu Alioune. Cela fait des semaines que je patiente. Peut-être a-t-il remarqué mes regards. Peut-être ma perte de poids. Ou mieux , a-t-il aimé nos échanges, ma personnalité ? Au fond, peu m’importe. L’essentiel est qu’il me voit désormais. À partir de ce soir, il me verra en tant que femme. Nous aurons tout le temps de mieux nous connaitre.


Je récupère mon sac et me dirige vers les escaliers. Il m’attend dehors, près de sa voiture. Les sièges sont si doux, si confortables. Je ne suis jamais rentrée dans une voiture comme celle-ci. J’ai plutôt l’habitude des bus. Mais à partir de maintenant, il faut que je m’habitue à ce nouveau train de vie. Je me redresse alors sur mon siège. J’admire par la fenêtre les lumières de Dakar. Nous quittons le centre ville, quartier des affaires. Alioune est concentré sur la route. Il a mis le journal à la radio, ça parle encore de politique. Je me concentre sur le paysage, à la fenêtre. Les immeubles sont remplacés par une magnifique vue sur la mer. Je sens l’odeur de l’eau salée titiller mes narines. Le vent fait frémir mes tétons. J’inspire. J’ai mérité ce moment.


Après quelques minutes, nous arrivons dans une rue où s’enchainent les restaurants chics. Je reconnais les enseignes, je les ai déjà vues en photo. À l’époque où je n’habitais pas en ville, j’admirais les photos de mes cousines sur les réseaux sociaux. Elles se pavanaient aux bras d’hommes qui avaient l’air riches et puissants. J’avais l’impression qu’elles se moquaient directement de moi. Chaque période de fête, elles m’envoyaient de l’argent. Leurs habits usés m’étaient également donnés. J’aurais tant aimé qu’elles me voient aujourd’hui marcher, près d’Alioune, vers cette belle porte dorée.


L’hôtesse nous dirige vers une table, au fond du restaurant. Parfait. Je dois rester prudente, et nous avons besoin d’intimité. Dans la pénombre, Alioune prend place face à moi. Il a été si silencieux pendant ce trajet. Je lui demande si tout va bien. Nerveusement, il chuchote : « Tu dois me comprendre. Cela fait déjà quelques temps que je voulais t’inviter. Tu me plais, j’aimerai que nous passions plus de temps ensemble. Mais je ne veux pas avoir de problème…je suis ton supérieur. Je te respecte, et je ne veux pas jouer avec toi. Pour l'instant, je veux juste mieux te connaitre. ». C’est avec un sourire que je lui réponds : « Alioune, tu n’as pas à t’inquiéter. Je t’apprécie beaucoup. Tu es un homme bon, respectueux. Personne au bureau, ni ailleurs, n’a à être au courant de notre rendez-vous. Profitons juste du moment présent. Je suis libre comme l'air. ». Il laissa échapper un soupir de soulagement. Je l’invite alors à commander au près du serveur. Notre rendez-vous se poursuit, comme dans mes rêves. Nous discutons, rions aux éclats. Je cache ma surprise devant les plats sophistiqués qui s’enchainent. Jamais je n’ai aussi bien mangé. Sa main enveloppe la mienne. Son parfum boisé chatouille mes narines.


Au moment de rentrer chez moi, une grande tristesse m’envahit, comme tous les soirs. Mais aujourd’hui au moins, un espoir est né. Alioune me dépose au bout de ma rue, je m’assure qu’il n’y a personne autour avant de descendre. Mes voisins sont avides de commérages. Il descend également, me fait la bise. Il sourit.


En regagnant ma porte, j’essaye de garder en tête les souvenirs de cette si belle soirée. J’ai du mal. J’entends d’ici les cris à l’intérieur. Je me décide à entrer. De suite, j’entends des pas se précipiter. Deux corps s’agrippent à moi, me criant : « Maman, maman ! » Je les embrasse. Derrière eux, Bachir m’attend. Les bras croisés, le visage renfrogné. Je crois l’entendre se plaindre de mes heures tardives, de mon travail qui me prend trop de temps. Il me rappelle que j’ai changé depuis que nous avons emménagé en ville. Que je me prends pour une citadine. Il menace de faire intervenir mon oncle - son père. Cette fois-ci, je ne l’écoute pas. Dans mon silence, je me remémore cette soirée qui va tout changer.


Demain, je reverrai Alioune.

 
 
 

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